CYCLE JAFAR PANAHI - Un des meilleurs films du cinéaste iranien.
Ciné/débat le 10 mars en présence de Mamad Haghighat, critique et réalisateur iranien
Résumé :
Dans un village iranien proche de la frontière, un metteur en scène est témoin d’une histoire d’amour tandis qu’il en filme une autre. La tradition et la politique auront-elles raison des deux ?
Critique :
Jafar Panahi est interdit de tournage et de déplacement en Iran. Pourtant, derrière ce projet de film, armé d’un ordinateur, d’un appareil photographique et d’une caméra, le cinéaste est parti à la recherche du calvaire artistique subi par son collègue, Mohammad Rasoulof, immense réalisateur de LE DIABLE N’EXISTE PAS.
Cette excursion vers un village situé à la limité de la frontière est à la fois pour le réalisateur un séjour artistique, une mise en retrait politique choisie et une tentative discrète de dénoncer la barbarie de l’État iranien. Ainsi, l’homme s’exile dans ce bout de terre, logé par un villageois dévoué, tout en mettant en scène à distance un long-métrage dont l’objet est le récit de fuite d’un couple iranien. Les failles d’Internet, les aléas du tournage à distance, ne l’empêchent pas d’aller au bout de ce récit turc où les femmes sont filmées sans voile et les jeunes s’amusent dans des bars débordant d’alcool.
De façon totalement consentante, Jafar Panahi réunit ici toutes les conditions pour se faire arrêter par les autorités iraniennes, ce qui ne manquera pas d’arriver hélas. Il dénonce dans le microcosme du village où il s’est installé, les rouages monstrueux d’une dictature où les femmes et les hommes sont instrumentalisés par l’État, au nom de la tradition, pour installer un climat de surveillance et de défiance entre les personnes. Le long-métrage décrit avec puissance la manière dont l’administration policière transforme le soupçon en culpabilité. Un simple cliché photographique suffit à faire endosser à un artiste la culpabilité de trahison, de surveillance et de comportement immoral. Même en remettant la puce où se trouvent les photographies, il doit renoncer à sa liberté linguistique, religieuse et culturelle, et prêter serment sur le Coran qu’il dit bien la vérité.
Mais tout le monde connaît l’adage célèbre de Jean Cocteau : "Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité." Panahi, dans une mise en scène dépouillée mais très écrite, raconte la manière dont les dictatures instillent la subversion dans la création artistique, en se reposant sur les peurs, la naïveté et le manque d’éducation du peuple. Aucun ours n’est pas un film proprement iranien. Il décrit le monde des images qui fait figure aujourd’hui, dans les réseaux sociaux, de vérité, et s’est installé durablement dans le quotidien. On ne sait plus, au bout du film, où se trouvent les limites du réel, du mensonge et de la narration, tant le scénario complexifie l’usage des images et de son film.
Le réalisateur de TAXI TÉHÉRAN offre, avec des moyens extrêmement modestes, une œuvre dense et profondément intelligente. Il démontre combien l’art cinématographique n’a pas besoin de milliers de crédits pour exister. Tout se situe dans l’intelligence du moment, la capacité visionnaire du réalisateur à penser la mise en scène et à écrire un récit qui soit tout autant une expression sensible du réel qu’une invitation à rêver.
Laurent Cambon
Critique parue le 24/11/22 sur le site "aVoir aLire"