LEILA ET SES FRÈRES DE SAEED ROUSTAEE - LES 1ER, 4 et 6 DÉCEMBRE 2022 - AURORE CINÉMA VITRÉ

LEILA ET SES FRÈRES DE SAEED ROUSTAEE - LES 1ER, 4 et 6 DÉCEMBRE 2022 - AURORE CINÉMA VITRÉ

Par le réalisateur de "La loi de Téhéran".
Ciné débat le 6 décembre en
présence de Bamchade POURVALI, spécialiste du cinéma iranien et fondateur du site "Iran cinéma panorama".

Un débat sera proposé avec le public à l’issue de la projection du mardi 6 décembre.

Résumé :
Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entrainent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.

Critique :
Derrière cette tragédie familiale quasi cornélienne, se cache le destin d’un pays, l’Iran, étouffé par l’embargo américain, l’inflation galopante, la destruction de l’emploi et le poids du conservatisme religieux. Un choc cinématographique.

Saeed Roustayi offre un nouveau film courageux et fort qui, une fois de plus, révèle un état de son pays contraint par le radicalisme des traditions, le patriarcat et la manipulation par le marché américain. En fait, Leila et ses frères emprunte le destin d’une famille pour dépeindre une nation qui peine à composer entre les héritages culturels et traditionnels, la force de la morale religieuse, et la nécessité d’advenir d’une certaine modernité. Le titre lui-même est en soi totalement convaincant. Car, s’il valorise les figures masculines, toute la puissance du récit est centrée sur la seule fille de la famille, Leila, une jeune femme déterminée à sortir son clan de la misère endémique.

Il faut se laisser voyager dans ce récit très dense pour peu à peu appréhender les complexités des personnages et les liens qui les unissent. Le réalisateur est contraint de prendre le temps, ce qui peut décourager certains spectateurs, car la force de la narration émerge pas après pas. Le frère aîné est présenté comme l’homme raisonnable de la fratrie, là où les autres garçons se perdent dans un sorte d’existence étouffée par la médiocrité. La sœur n’est jamais dupe de ce qui se passe. Elle tente d’élever ses frères à la réflexion, à dépasser le simplisme, mais sa lutte incessante se heurte à la tyrannie économique et un modèle sociétal très binaire. À travers elle, Saeed Roustayi égratigne l’Iran dont il avait montré en 2019 les blessures laissées par la drogue dans son très grand succès . Et il y a le vieux père qui se rêve de devenir le parrain au prochain mariage de son petit cousin, pour les honneurs invraisemblables qui lui seront faits, quand il ne s’enfuie pas dans la drogue et le rêve d’une existence plus digne.

On n’échappe pas à une vision tragique de l’Iran. L’opium est consommé dans des familles issues des classes moyennes, les contraignant à une pauvreté persistante. La survie passe par la figure féminine de Leila, là où ses pauvres frères se perdent dans des affaires sordides ou des existences sans intérêt. Naturellement, on peut craindre la caricature face à ces portraits si contrastés mais le récit parvient à se sortir avec brio d’une représentation trop manichéenne des choses. En tous les cas, Leila et ses frères invite les Iraniens à penser leur société, à mieux instruire les filles et à élever la réflexion. Il s’agit donc d’un film imminemment politique dans un contexte où l’ancienne Perse vient de mettre à sa tête un président encore plus dur, à savoir Ebrahim Raïssi, et que le guide suprême Ali Khamenei impose toujours sa vision réactionnaire du monde depuis 1989.

Une fois de plus, le cinéma iranien offre au spectateur occidental une aventure familiale et sociale des plus intenses. Leila et ses frères est un film dur, décourageant par certains aspects, mais dont la vertu principale est d’inviter les spectateurs à échapper au simplisme de la pensée et à se souvenir que le progrès, avant d’être économique et technologique, trouve ses racines dans la liberté et l’éducation.

Laurent Cambon
Critique parue le 23/08/22 sur le site "aVoir aLire"